John Clayton, bass - Ed Thigpen, drums.
Le 8 mai 1976, la grande salle d'Epalinges, sur les hauts de Lausanne, accueillait le trio d'un jeune pianiste dont le nom n'était encore connu que de quelques amateurs éclairés: Monty Alexander. Natif de Kingston, à la Jamaïque, où il avait vu le jour le 6 juin 1944 (sa famille, aussi, fêtait le débarquement!), il n'avait réussi qu'à réunir péniblement une demi-salle pour sa première apparition sur sol helvétique. Au vu de son extraordinaire prestation, on lui prédisait le plus grand des avenirs. Mais, malgré son don inné, il faut reconnaître qu'il n'y avait pas de place pour concurrencer ce "monstre sacré" qu'est Oscar Peterson. Aussi, après avoir figuré dans tous les plus grands festivals à l'échelon planétaire, enregistré de nombreux disques de très haute tenue, avoir côtoyé les plus grands noms du jazz actuel, on le retrouvait, en ce jeudi 22 novembre 1984, sur la scène du Théâtre Municipal d'Yverdon.
A ses côtés, se tenaient John Clayton, à la contrebasse, un de ses fidèles compagnons de la marque Concord pour laquelle Monty a énormément travaillé, et Ed Thigpen, à la batterie, un des anciens "petersoniens".
Cette soirée fut parfaite sur tous les points. Monty Alexander, à l'aise aussi bien dans des thèmes jazzy que populaires, tout en se référant moins à ses origines jamïcaines qu'à l'habitude s'est montré un prodigieux soliste. Avec ce sens du swing qu'il a acquis en écoutant, dans sa jeunesse, Nat "King" Cole, Art Tatum et autres Erroll Garner, avec ce style particulier qui lui appartient désormais, sans oublier cette décontraction, cette autorité, cette disponibilité et cet humour qui n'appartiennent qu'aux grands. Il faut dire qu'il était épaulé par deux compères qui le connaissaient parfaitement. John Clayton ne s'étale pas en solos tirant en longueur pour faire montre de sa technique. Il possède un sens de l'accompagnement d'une justesse, d'une efficacité et une douceur telles qu'il déroule un véritable tapis sous les pieds de son leader. Avec, pour corollaire, un Ed Thigpen, tout en finesses sur ses peaux, en nuances et sans coups d'éclat démesurés. Tout cela pour mettre en valeur les qualités indéniables de leur chef. Le public ne s'y est pas trompé, d'ailleurs. Et il a réservé une formidable ovation pour ce rendez-vous qui ne l'était pas moins et qui figurera en lettres d'or dans les annales de Jazz in Yverdon.
Stan Greig, p - Belton Evans, dm - Heywood Henry, sax - Bobby Williams, tp - Al Casey, g - Johnny Williams, b.
Le beau temps n'étant pas de la partie, c'est sur la scène du Théâtre municipal, et non dans la cour du Château comme prévu, que s'est présenté le Harlem Blues and Jazz Band. Il réunissait, du côté rythmique, Stan Greig au piano, Al Casey à la guitare, Johnny Williams à la basse et Belton Evans à la batterie. Ces quatre musiciens étaient chargés d'accompagner Bobby Williams à la trompette et Haywood Henry, à la clarinette et aux saxophones, ténor, soprano et baryton. Un troisième souffleur était annoncé sur le programme, Eddie Durham, au trombone. Malheureusement, ce dernier, hospitalisé à Londres lors de la tournée, ne figurait pas aux côtés de ses camarades. Malgré cet écueil, la section mélodique ne comprenant que deux musiciens, les protagonistes de cette rencontre ont fort bien tiré leur épingle du jeu. Bobby Williams, qui fit partie de l'orchestre de Don Redman en 1946, première formation à apparaître sur le Continent juste après la fin du conflit mondial, s'est avéré soliste intéressant, doté d'une sonorité agréable. Ses solos, fort bien amenés, ne tournaient pas à la recherche d'exploits techniques. Connaissant ses limites, il a parfaitement joué le jeu en solitaire ou dans les petits arrangements, simples et bien exécutés. Haywood Henry, a épaulé son camarade de manière efficace, se montrant à l'aise au ténor et agrémentant la soirée avec des interventions sur ses autres instruments. Mais, incontestablement, le grand bonhomme de la soirée fut Al Casey. Utilisant une guitare amplifiée à la perfection, il a aligné des chorus inventifs avec une aisance, une décontraction et un plaisir de jouer qui furent un pur régal. L'ancien compagnon de Fats Waller a prouvé, si besoin était, qu'il n'avait rien perdu de ses qualités! Pianiste écossais, Stan Greig, dont c'était la troisième tournée avec le groupement, a assuré sa partie avec beaucoup d'autorité. Johnny Williams, jouant d'une basse curieuse de forme rectangulaire - et à six cordes! - demeure le pilier sûr que l'on sait. Quant au batteur Belton Evans, qui a énormément enregistré, entre autres pour la marque Prestige, ce fut une découverte. Rythmicien très précis, il a su pousser ses compagnons au moment opportun sans abuser de sa technique.
En définitive, si cela ne fut pas un "grand" concert, ce fut tout de même un moment très apprécié de tous les spectateurs de cette soirée sympathique.
Michel Delakian, tp - Jean Eteve, cl - Bernard Rabaud, p - Jean-Yves Sorin, b - François Laudet, dm.
C'était la fin des années trente, le début des années quarante. Le grand contrebassiste John Kirby, qui avait joué avec les noms les plus réputés de l'époque, avait choisi de réunir autour de lui une formation prestigieuse composée uniquement de musiciens de premier plan, de véritables virtuoses, pour produire une musique tellement parfaite qu'elle sortait totalement de l'ordinaire. Précision dans les arrangements - souvent signés Charlie Shavers - d'une mise au point impeccable, sonorité d'ensemble toute en nuances, aisance des protagonistes dans tous les tempos, produisaient un son d'un swing absolument extraordinaire. S'attaquer à pareil répertoire relevait de la véritable gageure. Le saxophoniste alto français Claude Tissandier, un fidèle du big band de Claude Bolling, a osé relever le défi. Le résultat: Claude Tissendier Sextet joue la musique de John Kirby, il l'a produit ce jeudi 29 août dans une cour du Château vraiment fraîche pour la saison et où le vent a joué des tours pendables aux musiciens, les partitions s'envolant dans tous les sens. Il avait choisi Michel delakian à la trompette pour reprendre le rôle de Charlie Shavers, Jean Eteve à la clarinette pour effectuer les parties de Buster Bailey, le leader Claude Tissandier à l'alto prenait la place de Russel Procope, Bernard Rabaud au piano celle Billy Kyle, Pierre-Yves Sorin à la contrebasse celle de John Kirby et François Laudet à la batterie celle de O'Neil Spencer.
Ce fut une soirée mémorable où force et finesse se conjuguaient tour à tour. Une réelle aubaine! Tous les succès qui ont rendu célèbres la petite formation de John Kirby, exécutés avec une maestria époustouflante, ont été passés en revue, de même que les interprétations en jazz de thèmes classiques bien connus. Mais, quel travail, quelle volonté, quels artistes et quels talents pour aboutir à un résultat aussi achevé. Ce fut vraiment un grand moment de jazz. Chapeau, M. Tissendier! Grâce à vous, Jazz in Yverdon a ajouté un nouveau fleuron à sa programmation.
Daniel Tomi, tb - Vino Montavon, p - Jean-Yves Petiot, b. - Georges Bernasconi, dm.
Concert sans surprise que celui affiché par Jazz in Yverdon, en ce début d'année. Irakli de Davrichewy, que l'on a eu l'occasion d'applaudir à maintes reprises sur la scène du Nord vaudois, demeure certainement le trompettiste le plus régulier qu'il soit. Toujours fidèle à son mentor Louis Armstrong, il semble qu'il sonne de plus en plus comme son maître les années passant, dirigeant le groupe avec autorité. Avec beaucoup d'humour aussi. A la clarinette ou au soprano, Claude Luter continue dans la grande tradition de Sidney Bechet, avec toujours cette même flamme et ce même enthousiasme. Tous deux étaient en excellente forme, Jacky Milliet à la clarinette et Daniel Thomi au trombone complétaient agréablement la section mélodique.
L'orchestre de base était en fait celui attitré de Jacky Milliet. Si bien que les musiciens se connaissent de longue date et n'ont aucune peine à trouver leurs marques. Accompagnés par une rythmique bien connue des amateurs de jazz traditionnel avec un Vino Montavon très remuant au piano, Jean-Yves Petiot assurant sa partie de contrebasse avec souplesse et efficacité et un Georges Bernasconi qui se charge de relancer sans arrêt ses compagnons, avec le talent qu'on lui connaît, la soirée a pris une très agréable tournure. Sans coups d'éclat, mais bien dans la tradition. Ce ne sont pas les nombreux amateurs de vieux style présents ce soir-là qui le contrediront, appréciant, entre autres, les duos de clarinette entre Claude Luter et Jacky Milliet.